Antoine Deltour n’est pas Edward Snowden

L’auditeur de PricewaterhouseCoopers Luxembourg qui a révélé des documents relatifs à l’optimisation fiscale d’entreprises au Grand-Duché, ce qui a mené à l’affaire dite “LuxLeaks”, mérite bien la mise en examen par la justice luxembourgeoise et non pas l’image positive qui lui est accordée par beaucoup de médias et de personnages de la sphère politique. La comparaison à Edward Snowden ne tient pas la route, pour de diverses raisons.

« […] après, c’est certainement contestable du point de vue de la légalité mais en tout cas je pense qu’il y avait une certaine légitimité à mon action. » [1]

Ceci disait Antoine Deltour en conclusion sur l’affaire LuxLeaks. Et non, je ne vais pas vous faire le grand moralisateur légaliste, vous disant que tout ce qui ce trouve dans un Code équivaut automatiquement à une moralité intouchable, loin de là. La comparaison de Deltour à Edward Snowden méconnaît tout de même l’importance des tax rulings, leur fonctionnement  et ultimement la différence entre l’enjeu des deux affaires.

#Snowden et les principes de Nuremberg

Edward Snowden a agi en fonction de sa moralité (la moralité est une fonction individuelle) et en fonction des dispositions de la Constitution américaine. D’une façon importante Snowden a appliqué les principes de Nuremberg, notamment le principe 4:

PRINCIPE 4

Le fait d’avoir agi sur l’ordre de son gouvernement ou celui d’un supérieur hiérarchique ne dégage pas la responsabilité de l’auteur en droit international, s’il a eu moralement la faculté de choisir.

Étant en fonction publique, Snowden a agi en fonction des libertés individuelles et en la conscience envers les valeurs constitutionnelles, dont le 4ème amendment de la Constitution des États-Unis qui précise que:

« Le droit des citoyens d’être garantis dans leurs personne, domicile, papiers et effets, contre les perquisitions et saisies non motivées ne sera pas violé, et aucun mandat ne sera délivré, si ce n’est sur présomption sérieuse, corroborée par serment ou affirmation, ni sans qu’il décrive particulièrement le lieu à fouiller et les personnes ou les choses à saisir. » [2]

Non, le fait d’avoir eu un ordre de son gouvernement ne le prive pas de ses valeurs morales ou de son serment sur la Constitution. Son action devrait être une normalité pour tout agent public qui voit sa fonction dépasser ce qui a été prévu: un État qui est au service du citoyen, et non pas un citoyen rendu à l’arbitraire d’un État trop fort et intrusif, qui ne sert que les intérêts spéciaux de ceux qui aiment contrôler, s’enrichir et diriger.

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#Antoine Deltour et le principe de consentement à l’impôt

Antoine Deltour lui aussi prétend d’avoir agi dans un but politique, pour éclaircir et animer le débat sur l’optimisation fiscale internationale. C’est au parquet luxembourgeois de déterminer si vraiment le journaliste, qui a contacté Deltour lorsqu’il travaillait encore chez PricewaterhouseCoopers Luxembourg, n’a pas proposé au jeune auditeur une participation lucrative à la publication de cette histoire qui fera les unes de tous journaux les d’Europe et des sites internet.

Il convient alors de prétendre son innocence en ce qui concerne l’intérêt lucratif au cours de ce développement. Voyant dès lors les arguments justes de Deltour. Le fait que de grandes entreprises ont la possibilité, à travers leurs moyens financiers importants, de réduire leur imposition qu’ils sont obligés de payer, est un avantage considérable envers les petites et moyennes entreprises. La possibilité de négocier des taux d’imposition avec l’administration fiscale en consiste qu’un supplément à l’arsenal de méthodes qui existent déjà. La petite manufacture de produits locaux au coin paie son taux maximal, non pas parce qu’elle aime tant jeter son argent dans le trou de la politique gouvernementale qui ne cesse de dépenser trop, mais parce que le système pour les réduire est trop complexe pour le comprendre et les coûts pour se les faire expliquer sont trop élevés. Voilà pour une bonne concurrence déloyale créée par l’État.

Le consentement à l’impôt est quand même un fondement de nos démocraties, nous avait lâché Antoine Deltour lors de a réunion à l’Exit07 au Luxembourg. (Il faut que je me restreins un peu, puisque ce qui peut être jugé d’être un appel à ne pas payer ses impôts, est puni par une sanction d’amende et/ou de prison en France). Déjà faut-il dire que le consentement à l’impôt n’est pas automatique, il a été changé à travers l’histoire (question de droit de consentement à l’impôt sous l’Ancien Régime), et je ne crois pas qu’il soit essentiel à la démocratie. Si Monsieur Deltour considère que c’est automatique que la majorité tyrannique des 51% veut dépenser l’argent des 49% minoritaires, il a alors une vision encore plus péjorative de la démocratie que moi. Vivre ensemble en démocratie et respecter nos droits à la propriété, pour quelques-uns d’entre nous, c’est encore possible. Parce que consentir à l’impôt, Monsieur Deltour, ce n’est que vous et les grands partis qui aimez collectiviser qui le font encore de nos jours.

Enfin, des explications sur les rulings pratiqués au Luxembourg, puisque depuis l’affaire Vodafone il y a quelques années, la tendance à croire aux journalistes sur des sujets de fiscalité est devenu imposante. Les rulings ne sont pas une question de “si” l’impot est payé, mais “quand” il est payé: l’argent detenu moins taxé au Luxembourg est versé au détenteurs d’actions qui eux sont taxés en fonction de la valeur ajouté au capital. Ainsi, tous ceux qui ont ce sentiment “effrayant” que le succès n’est pas puni par le législateur n’ont rien à craindre, l’argent sera juste payé plus tard. [3]

Donc oui, Antoine Deltour a raison, LuxLeaks est une question d’injustice, mais sûrement pas dans le sens qu’il le nous souhaite voir. C’est une question d’injustice de l’impôt en général, de corporatisme, de l’enfer fiscal. Edward Snowden a voulu changer quelque chose, de limiter le rôle trop intrusif de l’État dans nos vies privées. Antoine Deltour n’est qu’un fonctionnaire du système, prônant le status quo: plus d’État, le consentement préalable donné par la naissance, la déresponsabilisation du public. Et Monsieur Deltour, on en a assez, ou comme disait Bastiat:

“Il faut le dire : il y a trop de grands hommes dans le monde ; il y a trop de législateurs, organisateurs, instituteurs de sociétés, conducteurs de peuples, pères des nations, etc. Trop de gens se placent au dessus de l’humanité pour la régenter, trop de gens font métier de s’occuper d’elle.”


[1] Conférence organisée par etika a.s.b.l. au Exit07 au Luxembourg, enregistrée par Radio 100,7

[2] En traduction française depuis Wikipedia

[3] Article intéressant sur le sujet de l’économiste Tim Worstall dans Forbes.

Pictures are Creative Commons.

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About Bill Wirtz

My name is Bill, I'm from Luxembourg and I write about the virtues of a free society. I favour individual and economic freedom and I believe in the capabilities people can develop when they have to take their own responsibilities.

8 Responses

  1. Ladurel

    Trop de gens se placent au dessus de l’humanité pour la régenter, trop de gens font métier de s’occuper d’elle.”
    Oui, trop de gens comme vous …

  2. Baudoin

    Merci pour ce point de vue intéressant, mais qui a selon moi un petit gout de trop peu…

    Sans cautionner les actions d’Antoine Deltour, vous ne pensez pas que le caractère confidentiel des tax rulings ait joué un rôle dans son geste? Pour une question de transparence de l’administration fiscale, les taxes rulings ne devrait-il pas être disponibles publiquement? Ou du moins en partie mais en anonymisant le nom des entreprises par exemple… Cela permettrait de réduire la distorsion de concurrence que vous évoquez.

    Enfin, la peine encourue par Antoine Deltour (18 mois de prison+amende) n’est-elle pas disproportionnée par rapport aux faits? N’aurait-il pas suffit pour PwC de le virer pour faute grave – sans indemnité? Selon wikipedia, ‘ces documents étaient librement accessibles à l’ensemble des salariés de l’entreprise.’ Il existe des moyens (contrôles, procédures et logiciels) pour empêcher ce genre de fuite par des employés. Substituer la justice pour combler son incapacité à utliser les outils adéquats, n’est-ce pas faire payer aux autres sa propre incompétence? Une forme de capitalisme de connivence en somme? Une peine de prison pour ce qui ressemble à une banale rupture de contrat entre employeur et employé, n’est-il pas une forme moderne d’esclavage?

    Concernant les entreprises victimes de révélations (pas PwC mais ses clients), ne devrait-elles pas se retourner contre PwC pour négligence? En tout état de cause, ces entreprises ne se sont pas portées partie civile, cela signifie-t-il qu’elles ne se considèrent pas lésées par les révélations? Les documents dévoilés contenaient-ils vraiment des données à caractère secret dont la révélation pouvait porter préjudice à ces entreprises? Je veux parler d’informations confidentielles concernant la stratégie, la technologie, et qui pourrait profiter à des concurrents par exemple (et non pas juste écorner leur image publique sur les questions d’optimisation fiscale)?

    Merci d’avance pour vos éclaircissements!

  3. Baudoin

    “Une entreprise n’est qu’un groupe de gens qui coopèrent dans un intérêt collectif, aucune raison ne leur pas accorder le même principe (de vie privée).”

    La situation n’est pas comparable: la plupart des sociétés (en particulier celles cités dans l’affaire des luxleaks) ont déjà l’obligation légale de faire auditer leurs comptes et de publier un rapport annuel (dans l’intérêt des actionnaires d’ailleurs!). Donc le droit à la vie privée de ces entreprises est un non-sens.

    Cela dit, ce qui importe n’est pas tant de savoir quelle entreprise a bénéficié de quelle optimisation fiscale, mais de connaitre la jurisprudence appliqué par l’administration fiscale, afin que toutes les entreprises puisse bénéficier des mêmes optimisations et éviter la distorsion de concurrence, ou les aides d’états déguisées. Donc on peut imaginer une publication anonymisée des rulings. C’est semble-t-il ce que fait déjà la Belgique: http://www.ruling.be/fr

    Je suis tombé sur cette phrase tirée d’un article de la presse économique australienne (http://www.afr.com/news/policy/tax/why-ikeas-profits-are-mostly-tax-free-20141105-11ho0k): “While IKEA’s auditor is KPMG, when the group wanted a new tax agreement with Luxembourg it turned to PwC because of its close relationship with Marius Kohl , the Luxembourg bureaucrat who until last year made all decisions about foreign-owned companies in the duchy.”

    ‘Close relationship’, ‘Accords secrets’…: cela suggère quand même quelques pratiques malsaine de l’administration fiscale luxembourgeoise, non?

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