L’économiste américain Paul Romer (prix Nobel d’économie 2018) a rendu célèbre le concept des villes à charte. Le concept n’est pas nouveau, avec des expérimentations aussi bien aux Etats-Unis qu’au Honduras et en Chine. Analysons les avantages de ces zones spéciales.
La politique, dans le sens général du terme, est l’art du compromis. Mais que faire si vous êtes incapable d’accepter le genre de compromis que les politiciens font en votre nom ? Pour certains, la réponse réside dans la formation de villes privées aussi appelées “villes à charte”. L’idée peut sembler radicale, mais elle n’est pas nouvelle – les États-Unis ont commencé comme une expérience d’autonomie gouvernementale à travers leur propre histoire : un groupe de personnes est parti d’Angleterre pour échapper aux persécutions religieuses et créer une société qui reflète leurs valeurs. D’autres communautés ont suivi ; bien qu’elles soient généralement établies par charte et fondamentalement sous le contrôle de la Grande-Bretagne, elles étaient largement indépendantes et libres d’instituer les systèmes juridiques et les gouvernements locaux qu’elles jugeaient opportunes.
C’est le principe fondateur du mouvement moderne pour des villes privées libres/à charte – un territoire souverain accepte de céder ou de vendre une partie de son terrain à une organisation privée qui souhaite créer une nouvelle ville.
Le paquet de base offert par les villes privées est un système d’infrastructure de base, des forces de sécurité et de sauvetage, un cadre juridique et réglementaire objectif, des tribunaux indépendants et des organes de règlement des différends. Il n’y a pas d’organe parlementaire susceptible de devenir sensible aux intérêts particuliers. Car l’entreprise qui détient la zone est une entreprise à but lucratif dont la concurrence est la force motrice. Les villes sont forcées de se faire concurrence pour attirer les citoyens (c’est-à-dire les clients) et sont incitées à offrir les meilleurs services possibles au coût le plus bas pour le consommateur. La société est également en mesure d’utiliser plus efficacement les technologies émergentes, en utilisant les données pour expérimenter de nouvelles méthodes d’exploitation des services fournis. Cela inspire l’efficacité, l’amélioration constante et l’innovation. Cela engendre également une culture de transparence : les citoyens qui paient des impôts voudront savoir comment leur argent est dépensé.
La caractéristique clé d’une ville privée libre est le contrat de citoyen. Contrairement à l’idée de Rousseau du “contrat social”, qui est implicite par nature et légitime l’autorité de l’État sur l’individu, le contrat citoyen est explicite et souligne les responsabilités de la ville envers ses citoyens. Il ne peut être modifié unilatéralement et un citoyen peut résilier le contrat à tout moment. C’est ce qu’on appelle le “droit de sortie”, un principe qui est au cœur de l’idée de villes à charte. Le contrat explique les droits et obligations mutuels du citoyen et de la ville, assure un arbitrage indépendant en cas de conflit et ne peut être résilié unilatéralement par la ville..
Cependant, les villes privées travaillent aussi sur un principe plus terre-à-terre. Les zones franches économiques de la Chine, ainsi que des endroits comme Hong Kong, ont réussi à enrichir considérablement leurs nations partenaires, en créant une nation succursale. En 2018, Paul Romer, lauréat du prix Nobel d’économie, propose activement un tel modèle. En principe, la ville à charte établit un règlement complètement différent dans l’intérêt de sa nation fondatrice. Par exemple, un pays sur la côte Ouest de l’Afrique pourrait créer une zone économique libre – peut-être même en partenariat avec des pays voisins, ou des pays éloignés – et fonctionner sur le principe du libre-marché avec un état de droit. Romer affirme également qu’un tel modèle n’aurait pas nécessairement besoin d’un financement de démarrage, car la nouvelle ville pourrait utiliser la valeur de ses propres terres ou ressources naturelles pour financer des institutions comme la police et les tribunaux.
Bien que le modèle proposé par Romer ne soit pas identique aux villes privées libres que nous connaissons aujourd’hui, il a une qualité commune avec ces dernières : il propose un choix aux individus. Aujourd’hui, des millions de Chinois travaillent et/ou vivent à Hong Kong et améliorent ainsi leur niveau de vie, ce qui profite à la Chine et à la ville elle-même. Ce choix permet aux individus de sortir d’un système pour choisir celui qui leur correspond le plus. En l’occurrence, Hong Kong a permis à des millions de citoyens de sortir de la pauvreté, de nourrir leurs enfants, de les envoyer à l’école et d’avoir un logement convenable.
Les villes privées libres comme les villes à charte engendrent une société fondée sur le volontarisme et la liberté d’association. Les opportunités d’application de ce modèle sont immenses : en l’absence d’un cadre réglementaire qui freine l’innovation, les villes privées pourraient rapidement devenir le phare de la science et de la technologie dont l’humanité a désespérément besoin pour progresser.
Cet article a été publié dans l’édition de juillet/août AGEFI Luxembourg.
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